Fiche écrite par Seydou Traorë en 2008.
Le domaine de l’urbanisme, même décentralisé depuis 1983, tout en échappant à la règle de clause générale, ne constitue pas un "bloc de compétences". L’aménagement de l’espace urbain et l’exercice des compétences afférentes, loin d’être des actes isolés, s’inscrivent dans un contexte général fait d’objectifs et de principes généraux. L’article L.110 du Code de l’urbanisme, posant le principe suivant lequel "le territoire français est le patrimoine commun de la nation", permet au législateur d’imposer aux collectivités publiques d’harmoniser leurs prévisions et leurs décisions d’utilisation de l’espace. Pour sa part, l’article L.121-1 du même code impose aux documents d’urbanisme de respecter l’équilibre entre le développement urbain maîtrisé, le renouvellement urbain et la préservation des espaces affectés aux activités agricoles et forestières ; la diversité des fonctions urbaines et la mixité sociale et urbaine, dans l’habitat notamment une utilisation économe et équilibrée des espaces naturels, urbains, périurbains et ruraux ainsi que la maîtrise des besoins de déplacement et de la circulation automobile, sans oublier la préservation de la qualité de l’air, de l’eau, du sol, des espaces verts, des sites, des paysages. L’État se distingue par la spécificité de son rôle et par la nature de ses compétences d’attribution à cet égard. Il est rendu compétent, par le législateur, pour déterminer, au nom des arbitrages, des équilibres et de l’intérêt général, un cadre juridique et institutionnel s’imposant aux autres personnes publiques. Tout en fixant les "règles du jeu" (loi littoral, loi montagne, directives territoriales d’aménagement, plans de prévention des risques et des nuisances), l’État pourrait avoir recours à certains dispositifs et outils spécialement conçus lui permettant soit de garantir la prééminence de certains projets d’aménagement de l’espace, soit de surmonter l’incompatibilité initiale de certaines opérations ou de certains projets avec les règles locales d’utilisation des sols (les projets d’intérêt général, les servitudes d’utilité publique, la déclaration d’utilité publique…). L’article L.121-2 du Code de l’urbanisme charge l’État de veiller au respect des principes généraux du droit de l’urbanisme (articles L.110 et L.121-1) et à la prise en compte des "Opérations d’intérêt national". La notion d’« Opérations d’intérêt national (OIN) » est au nombre des instruments mis à la disposition de l’État destinés à lui permettre, tout à la fois, de déterminer les modes d’utilisation de certains périmètres jugés stratégiques et d’intérêt national (I) et d’y exercer seul, par exception aux grands principes de la décentralisation dans ce domaine, les principales compétences d’urbanisme (II). Renforçant l’originalité du mécanisme des "OIN" de 1983, la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement (loi ENL) en étend le champ d’application en en prévoyant l’instauration dans des périmètres inédits.
I - Catégories d’opérations d’intérêt national
En visant les « Opérations d’intérêt national », l’article L121-2 du Code de l’urbanismerenvoie à la localisation et à la réalisation de certains programmes d’équipement propres à la politique nationale d’aménagement du territoire (1.1.). La loi ENL du 13 juillet 2006 ouvre la possibilité de créer une seconde catégorie non pas d’opérations d’intérêt national mais de périmètres susceptibles d’accueillir des opérations ayant cette qualification (1.2).
1. "Opérations d’intérêt national" de droit commun du 7 janvier 1983 :
La loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences attribue à l’État, au titre des grands équilibres sur lesquels est fondée la décentralisation du domaine de l’urbanisme, la compétence exclusive pour délimiter sur quelque point du territoire, des opérations dites "d’intérêt national", par voie de décret en Conseil d’État (articles L.121-2 et L.121-9 du Code de l’urbanisme). Le décret n° 86-669 du 18 mars 1986, complété en 1995 et en 2000, dresse la liste des périmètres et des grandes opérations d’aménagement du territoire correspondant à la qualification juridique d’« Opérations d’intérêt national ».
En application du nouvel article R121-4-1 du Code de l’urbanisme, introduit par l’article 2 du décret n° 2007-18 du 5 janvier 2007 pris pour l’application de l’ordonnance n° 2005-1527 du 8 décembre 2005 relative au permis de construire et aux autorisations d’urbanisme, sont “Opérations d’intérêt national”, au sens de l’article L.121-9, les travaux relatifs :
- aux agglomérations nouvelles régies par le livre III de la 5è partie du CGCT, dans leur périmètre d’urbanisation défini en application des articles L.5311-1 et L.5311-2 de ce code,
- à l’aménagement de La Défense, dans un périmètre défini par arrêté du ministre chargé de l’urbanisme à l’intérieur du périmètre de compétence de l’Établissement public chargé de l’aménagement du quartier de La Défense,
- aux domaines industrialo-portuaires d’Antifer, du Verdon et de Dunkerque ; dans les périmètres respectifs des ports autonomes du Havre, de Bordeaux et de Dunkerque,
- à l’aménagement de la zone d’aménagement de Fos-sur-Mer, dans un périmètre défini par décret en Conseil d’État,
- à l’opération d’aménagement Euro Méditerranée, dans la commune de Marseille, dans le périmètre de compétence de l’Établissement public chargé de l’opération d’aménagement Euro Méditerranée,
- à l’opération d’aménagement de Nanterre dans le périmètre de compétence de l’Établissement public d’aménagement de Seine-Arche,
- à l’aménagement et au développement des aérodromes relevant des attributions de la société Aéroports de Paris (Roissy-Charles-de- Gaulle, Orly et le Bourget), en application du décret n° 2005-828 du 20 juillet 2005 (JO 22 juillet 2005, p. 11940),
- à l’aménagement de Saint-Etienne, dans le périmètre défini par décret en Conseil d’Etat (annexe du décret n° 2007-783 du 10 mai 2007),
- à l’aménagement du secteur du Mantois-Seine aval, dans les périmètres définis par décret en Conseil d’État (annexe du décret n°2007-783 du 10 mai 2007),
- à l’aménagement du secteur d’Orly Rungis-Seine amont, dans les périmètres définis par décret en Conseil d’État (annexe du décret n°2007-783 du 10 mai 2007).
Trois nouvelles “Opérations d’intérêt national” sont prévues pour être localisées, au titre des "pôles de compétitivité", sur les sites de "Massy-Saclay", Versailles et Saint-Quentin-en-Yvelines.
Les opérations constitutives de cette première catégorie dite des "Opérations d’intérêt national" de droit commun se caractérisent par la présence d’indices et de critères inhérents à la politique d’aménagement du territoire.
2. Périmètres d’"Opération d’intérêt national" de la loi ENL du 13 juillet 2006 :
S’inspirant du modèle des « OIN » de 1983, l’article 1er de la loi ENL (Engagement national pour le logement) du 13 juillet 2006, après avoir érigé la réalisation de logements sociaux au rang d’objectif national, habilite le pouvoir réglementaire à délimiter un zonage prioritaire correspondant, sous la dénomination « périmètres d’opération d’intérêt national » (POIN).
- "La réalisation de logements sur des biens immeubles appartenant à l’Etat ou à ses établissements publics ou cédés par eux à cet effet présente un caractère d’intérêt national lorsqu’elle contribue à l’atteinte des objectifs fixés par le titre II de la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, par l’article L.302-8 du Code de la construction et de l’habitation ou par le programme local de l’habitat lorsqu’il existe sur le territoire concerné.
A cet effet, des décrets peuvent, jusqu’au 1er janvier 2010, délimiter des périmètres dans lesquels les opérations mentionnées au premier alinéa ont les effets d’"Opérations d’intérêt national" au sens de l’article L.121-2 du Code de l’urbanisme…", (article 1er de la loi ENL du 13 juillet 2006).
- Les périmètres d’"Opérations d’intérêt national" destinés à être créés au titre de l’article 1er de la loi ENL du 13 juillet 2006 présentent quelques différences substantielles qui en font une catégorie dérogatoire par rapport aux opérations visées à l’article R.490-5 du Code de l’urbanisme.
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- Le premier élément de différence porte sur le champ d’application territorial : alors que tous les biens immobiliers situés dans le périmètre d’une "OIN" de l’article 490-5 relèvent du régime juridique correspondant, les "POIN" de l’article 1er de la loi ENL du 13 juillet 2006 n’incluent que les biens immeubles appartenant à l’Etat ou à ses établissements publics.
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- Outre l’assiette, l’objet constitue un second critère de différenciation des deux catégories. Dans la mesure où l’article 1er de la loi ENL du 13 juillet 2006 vise la "réalisation de logements sur des biens immobiliers appartenant à l’Etat ou à ses établissements publics", seules des "opérations de construction de logements" sont constitutives du périmètre d’opération d’intérêt national de la loi du 13 juillet 2006. Dans le même temps, les dispositions de l’article R.490-5 du Code de l’urbanisme intègrent tous les travaux, de toute sorte, se rapportant aux différentes opérations d’aménagement mentionnées.
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- Le troisième critère distinctif est d’ordre temporel. L’article 1er alinéa 2 de la loi du 13 juillet 2006 ouvre au pouvoir réglementaire national la faculté de délimiter, par décret, jusqu’au 1er janvier 2010 exclusivement, des périmètres d’intervention dans lesquels les programmes de construction de logements (sociaux), portant sur des biens immeubles appartenant à l’Etat ou à ses établissements publics, exclusivement, bénéficieraient de l’application du régime juridique des opérations d’intérêt national au sens de l’article L.121-2 du Code de l’urbanisme.
Le dernier alinéa du I de l’article 1er de la loi ENL dispose, par ailleurs, que les décrets par lesquels sont délimités les périmètres considérés deviennent caducs à l’expiration d’un délai de dix ans suivant leur publication. La durée ainsi limitée ainsi que la caducité programmée renforcent le caractère dérogatoire de cette catégorie d’opérations d’intérêt national.
Les différences qui existent entre les deux catégories de périmètres d’opérations d’intérêt national ne se prolongent pas au niveau de leurs effets juridiques qui restent identiques.
II - Impact juridique et institutionnel de la délimitation d’un périmètre d’OIN :
Le recours à la catégorie juridique "Opérations d’intérêt national" trouve sa signification juridique et politique dans le fait que la délimitation matérielle d’un périmètre d’"Opération d’intérêt national" emporte des effets juridiques modifiant les règles applicables, la répartition des compétences, la hiérarchie des normes et les procédures d’élaboration des règles et documents d’urbanisme.
1. Délimitation d’une "Opération d’intérêt national" et exclusion de la règle de constructibilité limitée :
L’intérêt national attaché à la réalisation des opérations et programmes de toute sorte ayant justifié le recours à la procédure des opérations d’intérêt national a pour effet de lever l’obstacle qu’aurait constitué la règle de constructibilité limitée si l’opération devait se situer, géographiquement, en dehors des "parties actuellement urbanisées" d’une commune dépourvue de document d’urbanisme.
Le législateur choisit de faire de l’exécution d’une "OIN" une des exceptions à cette règle de constructibilité limitée. En application de l’article L.111-1-2 2° du Code de l’urbanisme : "Sont autorisées, en dehors des parties actuellement urbanisées de la commune : … les constructions et installations nécessaires à des équipements collectifs, à la réalisation d’aires d’accueil ou de terrains de passage des gens du voyage, à l’exploitation agricole, à la mise en valeur des ressources naturelles et à la réalisation d’opérations d’intérêt national".
2. Assujetissement des documents locaux d’urbanisme aux "Opérations d’intérêt national" :
Délimitées par l’Etat dans le cadre de sa politique d’aménagement du territoire national, les opérations d’intérêt national sont prévues pour être respectées par les documents d’urbanisme élaborés par les communes ou leurs groupements, dans un rapport de "prise en compte". Les schémas de cohérence territoriale, les plans locaux d’urbanisme, les plans d’occupation des sols, les cartes communales situés dans le périmètre d’une opération d’intérêt national ne sauraient en contrarier la réalisation.
Il est à noter ici que les "POIN" issus de la loi du 13 juillet 2006 sont placés à cet égard, dans une situation juridique quelque peu inversée. Non seulement pour leur instauration, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière de plan local d’urbanisme sont obligatoirement consultés sur les projets de décrets (leur avis est réputé favorable s’il n’a pas été émis dans un délai de deux mois), mais et surtout les décrets portant délimitation de ces périmètres sont dans l’obligation législative de tenir compte de l’économie générale des projets d’aménagement et de développement durable des schémas de cohérence territoriale et, en l’absence de schéma de cohérence territoriale, des plans locaux d’urbanisme déjà approuvés (article 1er I de la loi du 13 juillet 2006).
3. Attribution à l’État des compétences d’urbanisme au sein des "Opérations d’intérêt national" :
La délimitation, par décret, d’un périmètre d’opération d’intérêt national, au sens de l’article L. 121-2 du Code de l’urbanisme ou en application de l’article 1er de la loi du 13 juillet 2006, introduit automatiquement des exceptions à la décentralisation et au transfert des compétences en matière d’urbanisme. Les autorités de l’État redeviennent compétentes :
- Pour délivrer les autorisations d’occupation ou d’utilisation des sols : permis de construire, permis d’aménager, permis de démolir, ou pour statuer sur les déclarations préalables (article L. 422-2 du Code de l’urbanisme), y compris lorsque les communes concernées sont dotées d’un plan local d’urbanisme.
- Pour créer des zones d’aménagement concerté situées dans ces périmètres, après avoir recueilli l’avis du conseil municipal de la commune sur le territoire de laquelle est située l’opération d’aménagement (article L. 331-1 alinéa 3 du Code de l’urbanisme).
NB : Il n’est pas inutile de souligner l’attribution, par l’article 15 de la loi ENL, aux communes et aux EPCI titulaires du droit de préemption urbain, d’un droit de priorité en vue d’acquérir les terrains du domaine privé de l’Etat destinés à être utilisés dans des opérations tendant à réaliser des équipements publics ou des logements à usage locatif (articles L.211-2 et L.213-3 du Code de l’urbanisme ; article L.351-2 3° du Code de la construction et de l’habitat). Ce droit de priorité porte sur les biens immeubles constitutifs de l’assiette même des "POIN" de la loi de 2006.
4. Particularisme des règles d’urbanisme applicables dans le périmètre de l’« Opération d’intérêt national » du quartier de la défense
L’article L.141-4 nouveau du Code de l’urbanisme, issu de l’article 1er de la loi n° 2007-254 du 27 février 2007, habilite le Gouvernement à doter le quartier de La Défense de règles d’urbanisme propres. Mais il s’agit de règles ayant un champ d’application partiel et un caractère provisoire, dans la mesure où elles ne seront rendues applicables que dans les périmètres de l’opération non couvertes par un document d’urbanisme et cesseront d’être applicables dès l’approbation d’un document d’urbanisme par les communes concernées (Courbevoie et Puteaux).
Il en résulte que le quartier de La Défense se distingue, en tant qu’opération d’intérêt national, par l’application de règles d’urbanisme issues tantôt de documents communaux d’urbanisme, tantôt du Règlement national d’urbanisme et tantôt de décrets pris spécialement en application de l’article L.141-4 du Code de l’urbanisme.
La notion d’« Opération d’intérêt national » renforce ainsi ses spécificités juridiques en termes d’aménagement et d’urbanisme.